La commande publique : un levier stratégique pour relocaliser l’industrie en France
La relocalisation industrielle est devenue un enjeu majeur pour la souveraineté économique de la France. Face à une dépendance accrue aux importations et à des chaînes de production mondialisées fragilisées par les crises récentes, la nécessité de « produire en France » s’impose dans les débats. Dans ce contexte, la commande publique peut jouer un rôle structurant. Elle représente près de 10 % du PIB national et se révèle être un puissant levier de dynamisation du tissu industriel local.
Comment l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics peuvent-ils orienter leur pouvoir d’achat vers des entreprises françaises ? Quelles sont les solutions pour articuler efficacité économique, soutien à l’emploi local et respect des règles de la concurrence ? Cet article explore les différentes facettes de la commande publique comme moteur de relocalisation industrielle.
Relocaliser l’industrie : une politique industrielle au service de la souveraineté
La relocalisation industrielle désigne la stratégie visant à rapatrier sur le territoire national des activités de production jusqu’ici délocalisées. Elle répond à plusieurs objectifs :
- Renforcer la résilience économique face aux chocs mondiaux.
- Réduire les dépendances stratégiques, notamment dans des secteurs essentiels (santé, électronique, énergie).
- Soutenir l’emploi dans les territoires et revitaliser les bassins industriels.
- Promouvoir un modèle plus durable, axé sur le circuit court et la réduction de l’empreinte carbone.
Pour favoriser cette dynamique, les pouvoirs publics doivent mobiliser des outils adaptés. Parmi eux, la commande publique occupe une position privilégiée en raison de son poids économique et de sa portée incitative.
Commande publique et relocalisation : un cadre juridique évolutif
Le droit de la commande publique, encadré par le Code de la commande publique et le droit européen, impose des règles strictes en matière d’égalité de traitement, de non-discrimination et de liberté d’accès à la commande. Toutefois, il offre aussi des marges de manœuvre permettant de soutenir le tissu industriel national dans le respect des principes de concurrence.
Les possibilités suivantes sont à la disposition des acheteurs publics :
- Réservation de marchés : certains marchés ou lots peuvent être réservés aux structures de l’économie sociale, ou aux entreprises locales répondant à certains critères.
- Critères RSE : l’intégration de critères de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) dans l’analyse des offres permet de valoriser les productions locales à faible empreinte carbone ou les démarches de circuits courts.
- Allotissement : en subdivisant les marchés, l’acheteur favorise l’accès des PME industrielles locales, souvent exclues des grands marchés globaux.
- Spécifications techniques : la définition des besoins peut inclure des exigences liées à la qualité environnementale des produits ou services, souvent mieux respectées par des fournisseurs locaux.
Par ailleurs, la loi Climat et résilience (promulguée en 2021) encourage explicitement une commande publique plus durable et territorialisée.
Des secteurs stratégiques ciblés par la commande publique
Pour contribuer efficacement à la relocalisation industrielle, les politiques d’achat public doivent s’inscrire dans une vision stratégique sectorielle. Certains domaines sont particulièrement propices à cette logique :
- Le bâtiment et les travaux publics : la préférence pour des matériaux locaux et des entreprises ancrées sur le territoire favorise un développement économique durable. Les marchés de construction sont un vecteur important de soutien aux filières industrielles françaises.
- Les équipements médicaux : la crise sanitaire a mis en lumière la dépendance de la France vis-à-vis des importations. L’État peut encourager l’approvisionnement local en labellisant des fournisseurs ou en réservant des marchés à des entreprises nationales agréées.
- L’agroalimentaire : via la restauration collective publique, les acheteurs peuvent privilégier les circuits courts, les produits issus de l’agriculture locale ou de labels de qualité français.
- Les transports et l’énergie : dans les appels d’offres pour des infrastructures énergétiques renouvelables ou des véhicules de transport public, le critère de production locale peut être intégré au cahier des charges.
Vers une stratégie d’achat public territorialisée
La relocalisation de la production ne peut se faire sans une forte coordination entre les acteurs publics nationaux et locaux. L’État peut impulser des directives fortes en matière de politique industrielle, mais ce sont souvent les collectivités territoriales qui sont en première ligne dans la mise en œuvre concrète des politiques d’achat.
Des outils tels que les schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER) permettent d’orienter la stratégie achats vers des objectifs de relocalisation. Ils doivent intégrer :
- Une cartographie des filières industrielles locales.
- Des diagnostics d’opportunité pour moduler les stratégies d’achat.
- Des partenariats avec les chambres consulaires et les fédérations professionnelles.
Les agences de développement économique, les incubateurs industriels et les pépinières d’entreprises peuvent aussi être mobilisés pour accompagner les PME locales dans leur accès à la commande publique.
Les bonnes pratiques pour mobiliser la commande publique au service du « Made in France »
Au-delà des obligations règlementaires, une approche pragmatique, innovante et responsable est nécessaire pour rendre la commande publique véritablement favorable à la relocalisation industrielle. Parmi les leviers opérationnels les plus efficaces, on peut citer :
- La formation des acheteurs publics aux nouvelles possibilités juridiques offertes par le Code de la commande publique.
- La veille marché pour identifier les fournisseurs nationaux ou de proximité capables de répondre aux besoins exprimés.
- La simplification des dossiers de candidature pour encourager les PME françaises à répondre aux appels d’offres.
- La mise en place de clauses d’exécution locales sans discrimination géographique mais intégrant des exigences de performance en matière sociale ou environnementale de proximité.
- La commande innovante, qui permet d’accompagner le développement de solutions industrielles nouvelles, grâce à des procédures spécifiques comme les marchés d’innovation ou partenariats d’innovation.
Une politique d’achat alignée avec les transitions écologiques et industrielles
La relocalisation industrielle ne peut être pensée indépendamment des transitions en cours. La stratégie pour une commande publique plus responsable s’inscrit pleinement dans les objectifs nationaux de réduction des émissions carbone et d’économie circulaire.
Les entreprises industrielles françaises de demain devront répondre à des enjeux de sobriété énergétique, de recyclabilité, de modularité et de digitalisation. En orientant leur commande vers ces entreprises, les acheteurs publics deviennent des vecteurs de transformation économique à fort levier.
Il s’agit donc d’articuler étroitement relocalisation, innovation et durabilité. Ce triptyque permet d’assurer des politiques industrielles compatibles avec les enjeux sociaux et environnementaux contemporains.
En somme, la commande publique peut devenir bien plus qu’un outil d’acquisition : un véritable outil de politique industrielle au service d’un redéploiement productif, durable et territorialement ancré en France.