Les marchés publics, levier stratégique de la transition numérique des collectivités locales
La transition numérique des collectivités locales en France repose en grande partie sur la manière dont elles achètent leurs solutions, leurs services et leurs équipements. Les marchés publics ne sont plus de simples procédures d’achat : ils deviennent des outils stratégiques pour accélérer la transformation digitale des communes, départements, régions et intercommunalités. En intégrant des exigences numériques dans leurs consultations, les acheteurs publics peuvent orienter le marché, structurer une offre innovante et sécuriser leurs projets.
Dans un contexte de maîtrise budgétaire, de complexification réglementaire et d’exigence accrue en matière de services aux citoyens, les collectivités territoriales ont tout intérêt à exploiter pleinement le potentiel des marchés publics pour moderniser leurs systèmes d’information, dématérialiser leurs procédures et développer des services numériques performants.
Cadre réglementaire des marchés publics et transition numérique
Le Code de la commande publique offre déjà de nombreux leviers pour favoriser la transition numérique des collectivités locales. Les règles de publicité, de mise en concurrence et de transparence s’appliquent, mais elles sont aujourd’hui compatibles avec l’achat d’innovations technologiques, de solutions SaaS, de prestations de cybersécurité ou encore de services de cloud souverain.
Plusieurs dispositifs sont particulièrement pertinents pour soutenir les projets numériques :
- Les marchés de partenariat pour des projets numériques complexes (par exemple un système d’information global ou un projet de ville intelligente).
- Les accords-cadres permettant d’acheter des prestations informatiques de manière flexible sur plusieurs années.
- Les marchés de conception-réalisation appliqués aux projets numériques combinant étude, développement et déploiement.
- Les procédures avec négociation et le dialogue compétitif pour co-construire des solutions numériques innovantes avec les opérateurs économiques.
Bien utilisés, ces outils juridiques permettent d’adapter les marchés à la réalité des technologies numériques, souvent évolutives et nécessitant une forte interaction entre la collectivité et ses prestataires.
Intégrer des objectifs de transition numérique dans la stratégie d’achat public
Pour que les marchés publics accélèrent réellement la transition numérique des collectivités, il est indispensable de formaliser une stratégie d’achat numérique. Celle-ci doit être alignée sur le projet politique du territoire et sur une feuille de route numérique claire (schéma directeur des systèmes d’information, plan de dématérialisation, stratégie smart city, etc.).
Une stratégie d’achat public orientée vers le numérique repose sur plusieurs axes :
- Définir des priorités de transformation : dématérialisation des procédures internes, services en ligne aux citoyens, gestion des données, cybersécurité, équipements des écoles, etc.
- Identifier les familles d’achats numériques : logiciels métiers, infrastructures réseaux, hébergement cloud, matériels, assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO), maintenance, formation des agents.
- Intégrer des objectifs de performance : réduction des délais de traitement, amélioration de l’accès aux services publics, optimisation des coûts de fonctionnement.
- Prévoir la mutualisation entre collectivités : groupements de commandes, centrales d’achat, plateformes partagées.
Cette approche évite les achats ponctuels déconnectés d’un ensemble cohérent et permet de déployer progressivement une architecture numérique robuste et interopérable.
Rédiger des cahiers des charges orientés vers l’innovation numérique
Le contenu du cahier des charges est déterminant pour stimuler l’innovation numérique et attirer des prestataires spécialisés. Plutôt que de figer des solutions techniques, il est souvent préférable de rédiger des spécifications fonctionnelles, centrées sur les besoins de la collectivité et des usagers.
Quelques bonnes pratiques pour favoriser la transition numérique grâce aux documents de consultation :
- Décrire les usages attendus (parcours usagers, types de services, niveaux de disponibilité) plutôt que des technologies imposées.
- Préciser les exigences d’interopérabilité avec les systèmes existants, en s’appuyant si possible sur des standards ouverts.
- Intégrer des critères de cybersécurité : gestion des identités, chiffrement, protection des données personnelles, conformité au RGPD.
- Prévoir des modalités de mise à jour et d’évolutivité des solutions numériques, afin d’éviter l’obsolescence rapide.
- Ouvrir la porte à des prototypes, démonstrateurs ou phases pilotes avant un déploiement massif.
En laissant une certaine liberté de proposition technique, la collectivité permet aux entreprises – y compris les start-ups de la GovTech et les PME innovantes – de proposer des solutions numériques adaptées et performantes.
Critères d’attribution favorisant la transition numérique et la performance
Les critères d’attribution des marchés publics jouent un rôle décisif dans la sélection de solutions numériques réellement efficaces. Se contenter du prix le plus bas est rarement pertinent pour des projets de transformation digitale, souvent complexes et à forte valeur ajoutée.
Pour accélérer la transition numérique des collectivités locales en France, les acheteurs publics peuvent par exemple :
- Donner un poids important à la valeur technique des offres : ergonomie, performance, qualité de l’infrastructure, sécurité.
- Intégrer des critères d’expérience utilisateur : simplicité d’utilisation, accessibilité pour tous, design des interfaces.
- Prendre en compte la capacité d’accompagnement : formation des agents, support, conduite du changement, documentation.
- Examiner la qualité du plan de déploiement : calendrier réaliste, gestion des risques, phases de tests.
- Évaluer le coût global de possession (TCO) : licences, maintenance, hébergement, évolutions, plutôt que le seul prix initial.
Une approche multicritère bien construite permet de sélectionner des partenaires fiables, capables d’accompagner la collectivité sur plusieurs années dans sa modernisation numérique.
Marchés publics et mutualisation des solutions numériques entre collectivités
La mutualisation est un autre levier puissant pour accélérer la transition numérique tout en maîtrisant les budgets. Les marchés publics peuvent être structurés pour favoriser le partage de solutions entre plusieurs entités.
Plusieurs mécanismes permettent cette mutualisation :
- Les groupements de commandes entre communes, EPCI, départements ou régions pour acheter ensemble des solutions numériques (plateformes de téléservices, solutions de gestion financière, outils de gestion scolaire, etc.).
- Le recours à des centrales d’achat spécialisées dans le numérique public, qui référencent des solutions et prestataires via des marchés-cadres.
- La mise en place de plateformes partagées au niveau régional ou intercommunal (portails citoyens, extranets agents, solutions de gestion documentaire).
- La possibilité d’ouvrir certains marchés à l’adhésion de nouvelles collectivités en cours d’exécution, lorsque le montage juridique le permet.
Cette stratégie mutualisée permet d’industrialiser certains services numériques, de partager les coûts de développement et de maintenance, et de tirer parti des retours d’expérience des différentes collectivités utilisatrices.
Prise en compte de la cybersécurité et de la souveraineté numérique dans les marchés publics
Avec la multiplication des cyberattaques visant les collectivités locales, la cybersécurité doit devenir un critère central des marchés publics de solutions numériques. La transition numérique ne peut être durable que si les systèmes, les données et les services essentiels sont correctement protégés.
Les acheteurs publics peuvent ainsi :
- Imposer des exigences de sécurité conformes aux recommandations de l’ANSSI.
- Vérifier les certifications et qualifications des prestataires (hébergeurs de données de santé, par exemple).
- Privilégier des solutions hébergées en Europe, voire en France, pour renforcer la souveraineté numérique.
- Inclure des clauses de gestion de crise : plan de reprise d’activité (PRA), plan de continuité d’activité (PCA), temps de rétablissement garanti.
En structurant les marchés autour de ces enjeux, les collectivités locales sécurisent leurs projets tout en participant à la construction d’un écosystème numérique souverain.
Accompagnement au changement et formation via les marchés publics
La transition numérique ne se résume pas à l’achat de technologies. Elle suppose une transformation en profondeur des organisations, des processus et des compétences. Les marchés publics peuvent intégrer une dimension forte d’accompagnement au changement et de formation des agents.
Il est pertinent de :
- Prévoir des prestations de formation pour les équipes métiers et informatiques, en présentiel et à distance.
- Inclure des actions de conduite du changement : communication interne, assistance lors du démarrage, soutien aux référents.
- Exiger des supports pédagogiques clairs et adaptés (guides, tutoriels vidéo, FAQ).
- Mettre en place des indicateurs de montée en compétence pour mesurer l’appropriation des outils numériques.
Cette dimension humaine est souvent décisive pour la réussite d’un projet numérique et doit être valorisée dans les critères de sélection des offres.
Exemples de projets numériques accélérés par les marchés publics
De nombreuses collectivités locales françaises utilisent déjà les marchés publics comme moteur de leur transformation digitale. Quelques exemples de projets typiques :
- Dématérialisation des procédures administratives : mise en place de portails citoyens pour les demandes d’état civil, les inscriptions scolaires, les réservations de salles, ou encore les démarches liées à l’urbanisme.
- Gestion électronique des documents (GED) : acquisition de solutions permettant de centraliser, indexer et archiver les documents, avec des workflows de validation dématérialisés.
- Smart city et gestion urbaine : marchés pour la mise en place de capteurs, de plateformes de supervision, de systèmes d’éclairage public intelligent ou de gestion de la mobilité.
- Numérisation des écoles et des collèges : achats d’équipements (tablettes, ordinateurs, tableaux interactifs) et de logiciels éducatifs, souvent via des accords-cadres régionaux ou départementaux.
- Plateformes de participation citoyenne : solutions permettant de réaliser des consultations, budgets participatifs, enquêtes en ligne.
Ces projets, lorsqu’ils sont bien encadrés par des marchés publics adaptés, permettent de renforcer la qualité du service public, d’optimiser les ressources et de moderniser l’image de la collectivité.
Perspectives d’évolution : vers une commande publique plus agile et numérique
Les prochaines années seront marquées par une intensification des besoins numériques des collectivités locales : intelligence artificielle appliquée aux services publics, open data, plateformes de données territoriales, outils de gestion de la performance, services mobiles pour les citoyens et les agents.
Pour répondre à ces enjeux, les marchés publics devront continuer à évoluer vers plus d’agilité, de coopération avec les entreprises innovantes et de prise en compte du cycle de vie complet des solutions numériques. Les collectivités qui sauront utiliser la commande publique comme un véritable levier stratégique disposeront d’un avantage décisif pour réussir leur transition numérique et offrir des services publics modernes, accessibles et sécurisés.